Le dossier du photovoltaïque wallon est entré dans une nouvelle phase surréaliste : depuis le 1er janvier 2020, les détenteurs de panneaux ne reçoivent plus de facture de régularisation. Et ce pendant quatre mois. Pour la simple et bonne raison qu’un flou artistique existe sur le tarif de réseau qui leur est applicable.
Ce scénario est le fruit d’une bataille entre le gouvernement wallon et le régulateur (la Cwape). Au centre du débat : le « tarif prosumer ». Pour faire simple, la Cwape a modifié sa conception des tarifs de réseau à partir de 2020, avec la volonté d’augmenter la facture des détenteurs de panneaux (les prosumers) pour faire baisser celle des « sans panneaux » (un transfert à 59 millions par an). « Contrairement aux autres utilisateurs du réseau, les prosumers ne contribuent pas au financement du réseau à hauteur de l’utilisation qu’ils en font », justifie la Cwape. Elle souhaite donc faire payer des frais de réseau lorsque les panneaux d’un ménage ne produisent pas en suffisance, et qu’il est contraint de prélever de l’énergie sur le réseau. Objectif : « Faire contribuer de manière plus équitable l’ensemble des utilisateurs du réseau aux coûts de celui-ci ».
L’entrée en vigueur de ce tarif prosumer était prévue au 1er janvier 2020. Mais voilà que le gouvernement wallon, poussé par le MR, annonce qu’il souhaite un report de cinq ans. Il est trop tard pour voter un décret avant 2020, d’où la décision de tout geler pendant quatre mois, le temps de trouver une solution. Mais la Cwape considère toujours que son tarif est justifié, et veut le faire entrer en vigueur dès maintenant. Elle estime aussi que le gouvernement wallon empiète sur ses plates-bandes régulatoires en lui imposant un report. Grosse ambiance.
« Inadmissible en droit »
Il manquait une pièce, dans ce puzzle : l’avis du Conseil d’Etat, dont Le Soir a obtenu copie. Et il carbonise le projet de décret du gouvernement reportant l’entrée en vigueur du tarif prosumer à 2025. En donnant raison à la Cwape sur toute la ligne. Le régulateur pourrait presque encadrer ce texte dans son hall d’entrée.
D’abord, le Conseil d’Etat s’amuse à rappeler la jurisprudence : la Cour Constitutionnelle, la Cour de Cassation ou la Cour d’appel de Liège ont toutes consacré l’indépendance du régulateur en matière tarifaire.
Puis le Conseil d’Etat en vient au tarif qui nous occupe. D’abord, il juge le projet du gouvernement « ambigu », parce qu’il n’impose pas le report de 5 ans dans l’article du décret mais dans le commentaire de cet article. Mais, avec ou sans ce flou, ce texte « est inadmissible en droit », balance le Conseil d’Etat. Car il « porte atteinte à l’indépendance de la Cwape ». Et aucun argument avancé par la Région pour défendre son projet ne trouve grâce aux yeux des conseillers d’Etat.
– Un report de 5 ans calmerait les velléités de procès des détenteurs de panneaux ? Incorrect : par son manque de clarté, ce texte accroît surtout les risques de contentieux, dixit le Conseil.
– Les prosumers ont « droit » à un tarif de réseau préférentiel, car on le leur a promis ? Faux, selon le Conseil. « L’administré, lorsqu’il se voit appliquer un tarif déterminé, n’acquiert aucun droit au maintien de ce tarif pour l’avenir ». Comme l’Etat peut modifier la TVA, le régulateur a le droit de changer sa formule tarifaire s’il le souhaite.
– Quant à la directive européenne de 2018 sur la stabilité financière des subsides au renouvelable, agitée par le MR pour défendre l’idée d’un report, elle est aussi crucifiée par le Conseil d’Etat. Certes, cette directive stipule qu’on ne peut pas compromettre la viabilité de projets existants en changeant les règles. Mais elle dit aussi que les prosumers doivent contribuer « de manière adéquate et équilibrée au partage du coût global » du réseau.
Bref, le Conseil d’Etat considère que c’est à la Cwape de décider, seule. Et qu’elle a le droit de modifier son tarif si elle le souhaite, au nom d’une plus juste répartition des coûts du réseau entre consommateurs. Le projet de décret du gouvernement « ne peut être adopté en l’état », conclut la juridiction. Un argument de plus pour la Cwape, qui plaide pour l’entrée en vigueur immédiate de ce tarif. Le gouvernement va, quoi qu’il arrive, devoir trouver une parade…
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